La peinture comme crime
Paris, musée du Louvre
Commissaire: Régis Michel
octobre 2001- janvier 2002
   

 

 

Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux et le musée du Louvre. conservateur en chef au département des Arts graphiques du musée du Louvre.  La présentation de l’exposition a été conçue par Sandrine Billot et Philippe Maffre et réalisée par le Service des Travaux Muséographiques du musée du Louvre

Crime (SCHWARZKOGLER) 

Malerei a/s verbrechen la peinture comme crime. Ainsi parlait Rudolf Schwarzkogler, actionníste viennois, dans un manifeste laconique en forme de testament. Et si c’était vrai? Si la peinture, qui est, en Occident, le canon séculaire de la culture visuelle, n’avait été que ça un crime contre l’imaginaire — carcan du conps, miroir de l’idéologie, outil du pouvoir, mystique de l’auteur, princi­pe de tous les fétichismes, de tous les formaiismes? Si elle n’était rien d’autre qu’une machine á sublimer qui n’a cessé de servir le plus sournois des cultes, lequel se nomme, depuis Hegel, la religion de l’art? On exagére á peine. La peinture a vicié notre rapport aux images. Elle en a fait des icônes. Ou des oevres. Avec métaphysique afférente : celle des origines. Où prévaut la figure de l’ar­tiste comme démiurge, qui exorcise le sens á coup d’in­tention. La peinture a surtout vicié notre rapport au monde. Elle n’y a vu que des formes. Ou des ombres. Avec pathos corollaire : celui du sujet. Où prime un verti­ge de pureté, stade supréme du vieil idéalisme, lequel n’a qu’une obsession, le déni du corps, qui est le (vrai) théâtre du politique. II se peut que la peinture soit monibonde. Mais on est loin d’en avoir fini avec le monopole tenace de son code impénieux. Qui régit notre oeil. En le rendant aveugle. C’est-á-dire dévot. Et le pire des crimes, c’est bien la dévotion.

I VISION 

Le panoptique définit, chez Foucault, le modéle carcéral des Lumiéres, qu’il emprunte á Bentham soit un édi­fice circulaire avec un édicule central oú siége une instance de contróle. OEil du pouvoir en position permanente de surveiller et punir. Mais le schéme est plus général. C’est le paradigme éclairé (?) qui régit la société disci­plinaire dont nous sommes les héritiers. Foucault reprend á sa façon la thése critique — thése maudite —d’Horkheimer et Adorno sur la raison des Lumiéres, dont la dérive abstraite est la matrice des camps. Paradoxe? II est peu d’espaces aussi panoptiques que l’art. Tout s’y révéle codifié par des organes censeurs (Académie, Salon) oú prévaut l’Etat. La peinture est, par son éclat public, le médium privilégié de ce dressage intensif. Nul hasard si l’on présente ici, pour l’essentiel, des oeuvres graphiques le dessin reste un vecteur privé d’aspirations dissidentes. II s’agit d’artistes en marge. En crise. Ou en rupture. Tous ont en commun leur distance croissante, fút-elle éphémére, avec le classicisme ultra, qui atteint, avec Winckelmann, les sommets de l’ascése (ou de l’absurde) le canon du marbre. Tous s’interrogent sur ce qu’on peut voir au-delá d’une rai­son puritaine le corps, l’expression, l’affect, le sexe, le mal, ou la différence. Et leur grande obsession, motif ou métaphore, c’est l’oeil. Le leur. Pas celui du maitre.

Carstens ou la menace du cri (CARSTENS) 

On a fait de Carstens, inconnu célébre, un mythe germanique. II passe encore pour le pro­phéte maudit d’un art nouveau, qui n’a rien de trés neuf, le retour á l’antique. L’artiste mérite mieux que cette idéologie brune : il ne fut jamais qu’un classique malgré lui. En attestent les idoles de plátre oü se cristallise le paradoxe aigu de son idéal féminin : la Parque. Ces étranges statuettes furent modelées á Rome, vers 1795, peu avant la mort précoce de l’auteur. Elles sont toutes affligées d’un motif iconoclas­te, qu’on nommera, pour faire bref, un crí. Et ce trou noir est á lui seul un scandale esthétique. II déroge — voir Lessing — aux lois d’airain de la beauté grecque, laquelle est muette on n’y tolére que des lévres closes. Or le cri, chez Carstens, n’est pas seulement un enjeu libidinal, au motif castrateur (la Parque est sa version fétiche de la femme fatale, femme cannibale). II est surtout le principe d’un écart expressif qui bafoue l’asthénie de la norme. Et c’est le seul moyen qu’ait trouvé l’artiste, dans le double bind du classicisme — étre original en étant conforme —, pour ravir la figure á la gangue du marbre. Au-delá du cri commence le langage, par où s’identifie le sujet. Cet acheminement vers la parole, comme dirait l’autre, est le des­sein rebelle d’un art inachevé: entreprise(illu­soire) de subjectivation... 

Canova journal de crise (CANOVA) 

Pas d’artiste plus officiel que Canova. Il est, avec David, le parangon de tous les classicismes, où s’incarne — se désincarne — jusqu’á l’absurde l’idéal esthétique de la raison des Lumiéres: un minimum de chair dans un maximum de marbre. Mais Canova lui-méme ne fut pas tou­jours le Stakhanov virtuose d’un art gelé. II entre en crise (comme David), vers 1795, dans le moment méme où la Révolution fait faillite la figure d’Hercule, embléme des Jacobins, qu’il exécre, cristallise à l’envi ses tourments intimes. L’athléte du mythe (bodybuilding et superma­chisme) se change en anti-héros qui massacre ses proches — son factoton Lichas ou sa propre engeance — dans le délire acméique d’une folie subite. La fureur d’Hercule manifeste le clivage du sujet en pleine révolte oedipienne. Et l’excés de l’affect est ici le principe heuristique de la subversion du code. Les dessins de Bassano, grands nus toujours virils, oú le sculpteur étudie son répertoire de poses (on y reste entre soi, c’est-à-dire entre hommes), sont le plus élo­quent des journaux de crise: un diaire illustré. II faut voir ces figures pathétiques errer dans la page blanche en quéte d’expression. Leur idio­me gestuel est (provisoirement)... dyslexique. On croirait des acteurs qui ont oublié leur texte incapables d’improviser. Qu des automates sans ressort: mécaniques en suspens. 

Romney ou les corps interdits (ROMNEY) 

Voyage au bout de la nuit. L’art de Romney cul­mine, dans les années 1790, avec l’expérience carcérale. L’auteur ne connut jamais la moindre prison. Mais il en recrée les ténèbres à partir d’ouvrages autorisés, dont la fonction d’enquê­te eut sa vertu politique, en suscitant la réforme des bis pénales les rapports critiques de John Howard sur les prisons d’Angleterre et les laza­rets d’Europe. Romney trouve en Howard une figure exemplaire de la raison pratique une incarnation modèle de l’homme des Lumíères. II n’est pas le seul. Le public anglais s’entiche du bon apôtre. A tort. Le personnage est trouble. Et sa pratique équivoque. La philanthropie n’amé­nage le système répressif de l’Ancien Régime que dans un but explicite : rendre la répression plus efficace. Howard est un précurseur de ce que Foucault nomme le nouveau partage de l’enfermement, qui distribue désormais sa clientèle indistincte dans un réseau progressif d’établissements spécialisés : stade suprême d’un savoir (pouvoir) méthodique où le sujet devient cas. De là naît la société disciplínaire, fondée sur le dressage corporel. Mais la geôle, chez Romney, comme chez Goya, reste un dépotoir social oú s’exaspère la violence rebelle des corps interdits. Et ce qui explose, dans ces pages fébriles, ce n’est pas seulement la misére carcérale, c’est le code esthétique... 

Shock corridor (VIOLA) 

Crier. Pas de doute. La chose est interdite. Vieux tabou de la tradition classique en mal d’ascèse expressive : de contrôle corporel. Qui change un art policé en un monde policier. The Space Between the Teeth (1976) est ‘une des premières vidéos de Bill Viola. Cefle oeuvre pré­coce, qui utilise déjà l’ordinateur, est exempte de tout esthétisme. Et son langage brut (effet de réel) sert une enquête implicite sur le refou­Iement du cri : exercice pratique d’anthropolo­gie régressive. L’artiste est assis dans e décor vieillot d’un intérieur anonyme. II ouvre la bouche. Et críe. Avec violence. On dira méme qu’il hurle. Ce n’est plus un cri. C’est un spasme vocal. Et bien au-delá : un phénoméne soma-tique á stridence inhumaine. Qui retrouve son animalité. La caméra fouaille cette gueule ouverte á la dentition disjointe : espace entre les dents. Viola crie. Et le cri se répète. Et le cri fait l’image, qui change de perspective, au ryth­me suraigu de la bande son. Le modèle échoue au fond d’un corridor qui se souvient de Welles et de Fuller : soudain relégué dans l’exil impré­vu d’un monde carcéral. Aussi finit-il par se dis­soudre. L’homme devient polaroïd. Qu’on jette à l’eau reflet d’un reflet. Cliché poubelle. Mais Viola commence á nous rendre le cri, long­temps confisqué par une imagerie normative, dans l’obscéne éclat de sa formule oubliée : pulsion + répétition. 

Sergel ou l’invention du sujet (SERGEL) 

Humeur, tristesse, misanthropie : portrait du mélancolique vu par l’Encyclopédie. Sergel est un familier du genre. Avec récidive. Un accro de la déprime. Or il s’agit cette fois, si l’on ose dire, de la grande dépression : deuil et mélancolie. Et l’on sait, depuis Freud, que les deux font la paire. Sergel souffre. Et le dit. Sa douleur est grande. Mais pas muette. Il tient même une chronique illustrée de ses affres morales : un roman feuilleton de l’hypochondriaque. Voici donc la bande dessinée de l’inconscient. L’artiste invente quelque chose comme le sujet moderne. Qui prend le pouvoir: la parole. Et dit je. Mais qui sait aussi le pouvoír chimérique, la parole étrangère, et le moi divisé. Le narrateur décrit par le menu ce théâtre d’ombres où sévis­sent la réciusion, l’insomnie, l’obsession, le sui­cide, le désespoir et la mort. Entre autres. Cette périégèse drolatique de l’humeur noire est une anthropologie critique des maiheurs de la conscience. Où le pulsionnel prime le fictionnel. Où l’on passe vite de la raison kantienne — rai­son close — à la pulsion freudienne — pulsion trouble. Il s’ensuit (voir Lacan) que le sujet de ce néant, comme prévu, n’est jamais qu’un néant de sujet, fût-il douloureux : un effet d’ímage (effet de langage). Or ce néant finít mal. Heureusement. Il devient fou. Et sa folíe est peut-étre une promesse. De révolte? 

Blake ou l’absolu du mal(e) (BLAKE) 

Bataille avait raison. Ce qui hante jusqu’ l’ob­session l’oeuvre de Blake, c’est le mal. Pas un concept. Mais une expérience. Qui décline âprement les notions existentieiies dont Bataille lui-même étaie sa prose : l’interdit, la transgression, la violence et l’érotisme. L’écri­vain s’est borné à lire les poèmes. Or les images de Blake ne disent pas autre chose. Blake use à cette fin d’une figure imprévue : Dieu. Mais ce dieu-là, qu’il emprunte à la Bibie, n’est pas une idole orthodoxe. Peu importent ses patronymes. Dieu n’est ici que le nom du pouvoir, et par suite, le principe du mal. Pouvoir absolu. Mal absolu. Car il incarne aveu­glément la rationalité abstraite d’un créateur péremptoire qui ne connait de la vie que la froideur du compas. Léviathan : ce monde est arbitraire. Et son auteur polymorphe : Dieu parait tour à tour, au gré des Ecritures, que Blake illustre en priorité, comme un monstre, un tyran, un fou, un assassin et un bourreau. On excusera du peu. Mais ce n’est pas encore tout. Dieu le père (sévére) finit aussi, via sa pareille (ou parédre), Enitharmon, en castrateur oedipien. Béhémoth : ce monde est eunuque. Et si Dieu, c’est le diable (et inversement), l’hom­me, sa créature, en est réduit au pire, qui consiste à renier sa condition, laquelle est peu accorte. II tourne mal. A savoir animal. On dira méme animâle. Par dérision...

Füssli histoires d’œil (FÜSSLI) 

C’est un couple de femmes, dans une alcve, dont la nudité lascive suggéère les jeux interdits. Et l’on voit au fond, par la fenétre ouverte — le grand oeil de l’au-delà —, un étrange duo, cheval et cavalier, qui saute dans le vide à bride abat­tue. On parlera de cauchemar: ce nocturne atte­lage est une sorte d’incube. Le cheval au galop (cheval monté) vaut allusion manifeste à d’autres chevauchements. Et la frénésie de sa course évoque sans discrétion la violence ani­male du rut amoureux. Le songe — présumé —fonctionne en l’espéce comme un métadis­cours. Un produit du désir. Un révélateur du tan­tasme. Ce qui compte n’est pas ce qu’on voit. Mais le contraire : ce qu’on ne voit pas. La vision n’est pas la raison. C’en est méme l’antithése un théâtre obscur de forces primitives — on dit, depuis Freud, pulsionnelles. Où prime le sexe. Füssli nous donne sa vision de la vision, loin de la rationalité abstraite, celle des Philosophes, qui sont aveugles, à force de Lumières. Vision tragique, où revient toujours, comme en écho (lancinant), sous la diversité de la fable, une obsession majeure, qui est la castration, aquel­le fait corps — si l’on ose dire — avec la figure tor­tionnaire de la femme fatale. On ne s’étonnera guère que ces histoires d’ceil, façon Bataille, se terminent toujours mal. C’est qu’elles disent toujours la méme chose.

Peep show (FÜSSLI) 

Rideaux, tentures, étoffes. II y en a partout. L’image est un théâtre. Où le coup d’oeil est mortel. L’homme regarde la femme qui regarde l’autre homme. Ce n’est qu’un enchaînement de regards assassins. La scéne est un lit, dont la pompe requiert... un ciel. Mais c’est bien la seule chose qui soit céleste dans ce rite cruel. Regardez comme on tue. Scéne de meurtre ou de coït? Cette barbare empoignade a le statut freudien d’une scéne primitive. Mais le corps à corps n’a rien de parental. Il s’agit d’hommes entre eux. Cette étreinte est phallique. Ecce Homo. Alphonse d’Aragon meurt étranglé dans son bit sur l’ordre des Borgia, frére et soeur. César se tient dans la coulisse : Polonius revu par Méphisto. Et ce Polichinelle barbu est le deus ex machina d’un homicide très chrétien. Mais Lucrèce : tout son étre est tendu vers le plaisir scopique de l’exécution. Capitale. Conjugale. Cette femme n’est plus qu’un oeil. Entre deux rideaux. Peep show furieusement uve. Lucrèce devient... Méduse. Tel est, chez Füssli, le destin menaçant de la femme fatale. Ses cheveux s’épandent en essaim grouillant de mèches serpentines. Son corps sinue comme un reptile dans le manège obvie de ses contor­sions optiques. Et les plis de ses atours ne font qu’ajouter à ce devenir ophidien. Voici la moderne Gorgone, qui s’empare du phallus, en castrant son époux. Tropiques du sexe. Pas tristes... 

Goya faciès de la différence (GOYA) 

Ne cherchez pas. Vous n’y comprendrez rien. Mais ça n’a pas d’importance. II suffit de voir. Un groupe de bipèdes aux faciès retors montre d’un doigt railleur un être juvénile qui a l’air penaud. La gravure n’explique rien. Son rôle est d’abord nocturne. Il lui faut obscurcir be propos dans tous les sens du terme. Un moine y prend la place de l’éphébe, et son attitude est plus contrite encore. La citrouille martyre qui lui tient lieu de visage dégouline d’effroi, de remords ou de pénitence. Voilà bien le paradoxe de l’affaire. En désignant leur cible, les rieurs l’excluent. Ce qu’ils moquent est sa différence. Ils inventent le bouc émissaire. Qui rend la différence coupable. A des fins expiatoires. Et le rictus des bourreaux laisse mal augurer du sort de la victime. Goya produit sur le tard une série d’énigmes, qui sont peut-être le meilleur de son œuvre : les Disparates. Le titre est apocryphe. Mais perti­nent. Disparate est, d’après l’Encyclopédie, le vice contraire à l’unité dont aucun être n’est exempt. Vice est le mot: la différence est immo­rale puisqu’elle est transgressive. Et le vice cul­mine dans la figure du monstre qui hante ces pages rebelles. Mais il n’y a pas de monstres chez Goya : c’est même, dit Baudelaire, son grand mérite. II n’y a qu’un droit collectif á la Iai­deur. A la beauté pure d’être laid. 

Enfers de l’art (GOYA) 

Chez Goya, Satan ne crie pas: il hurle. Et sa face camuse — camarde? — est dévastée par la béan­ce maxillaire du séisme phonique. Elle se troue de cavités multiples qui s’enchainent dans un monde lunaire : bouche, narines, orbites. Satan chute. Ce n’est pas seulement la fureur (ou l’im­puissance) qui achève de ruiner sa gueule triste de chauve-souris : Nosferatu de la Genèse. II émane de ses traits convulsifs une aura glauque de peur panique. Satan n’est pas rebeble. Mais veule. Le grand révolté du texte biblique n’est plus qu’un mauvais acrobate en plein déséqui­libre. On ne sait méme pas comment il parvient encore à se maintenir en suspens. La perspecti­ve de la scène est d’ailleurs si étrange qu’on se demande par quel bout la prendre : elle n’a (lit­téralement) pas de sens. Observez sa carcasse diptère aux genoux cagneux dans cette posture brouillonne d’alpiniste raté. C’est peu de dire qu’il n’est pas beau. Le cri est l’emblème cave de sa disgrâce physique. Humain, trop humain. Satan, chez Goya, devient ridicule : un volatile manqué. Il est le prince de la laideur. Un mani­feste à lui seul d’esthétique iconoclaste, c’est-à-dire... anti-esthétique. Et le hurlement silen­cieux de ses mandibules émaciées pétrifie jus­qu’au magma rocheux qui se prépare à l‘en­gloutir. L’éruption minérale est le fidéle reflet de l’émission vocale. Paysage de l‘a ffect: enfers de l‘art. 

II  FICTION

Pauvre Redon C’est un artiste mal aimé. On ne veut pas le voir. On refuse même (en France) de le montrer. Il dérange. Dans le catéchisme de l’histoire, la voie royale de la modernité passe une fois pour toutes par Manet ou Cézanne. Serait-ce que la peinture finit par rendre aveugle? Une décennie durant — les années 1880 —, Redon crée, avec ses noirs (ou série de fusains), le nouveau continent d’un art-langage, en rupture ouverte avec le formalisme croissant de l’époque. L’artiste, parfois lucide, appelle fictions ses rébus de motifs. Ce bri­colage fictionnel est un travail unique sur le langage visuel. Peu avant que Freud ne définisse, dans la Traumdeutung (1899), le travail du réve, Redon, qui a vu Goya, comprend que l’art est une rhétorique. Et que l’image, c’est du langage : que le discours des figures obéit aux figures du discours. Aussi prend-il conscience de ses pouvoirs expressifs. Redon produit une série de collages — une galerie de monstres — dont la splendeur vaut énigme. Et l’on découvre à tâtons, dans ce monde obscur d’obsessions cruelles, une critique radicale du sujet, qui est — elle — vraiment moderne, par sa thématique inlassable sexe, pouvoir, folie, différence, et autres. Redon, c’est l’anti-Cézanne. II ne réduit pas l’univers à un compotier. Mais il revendique un art qui pro­duit du sens (politique). Pas seulement de la forme (bourgeoise).

La revanche de Caliban (REDON) 

Caliban. Shakespeare, dans la Tempête, le campe en trois mots : un esclave difforme et sauvage. Mots cruels où prime la violence du pouvoir. Et du pouvoir colonial. Prospero le magicien n’est qu’un usurpateur. Le premier occupant de son île était Caliban. D’où le traite­ment douteux qu’il lui fait subir : invectives et corvées. Prospero se comporte en conquérant. Et Miranda, sa fille, ne vaut pas mieux. Elle lui apprend à parler pour aliéner son désir: langue du maitre. Caliban parle. Mais en rebelle. Et c’est bien ainsi que l’entend Redon. D’abord il campe le monstre au sortir de son trou : tête de grenouille, mains d’étrangleur, jambes de nain. Cet être n’a pas de corps. Il n’a que des membres. Autour d’une face: plus d’ego que de chair, de cogito que de sum. Car ce gnome rétractile est pensif. Donc nocif. Il fomente la ruine de son bourreau. En vain. Peu importe. Redon fantasme avec éclat son triomphe à venir: la revanche du cobonisé. Voyez comme il le juche dans son arbre à l’égal d’un trône. Caliban siège en majesté. Il met la main sur la branche comme un vrai propriétaire. Même il devient homme. Ou presque. Le nain prend du muscle. Et de la barbe. ll arbore en prime des attributs démoniaques (aile, cornes) : on est l’idole qu’on peut. Le mauvais esprit se fait petit diable. A thing of darkness, écrit Shakespeare. Victoire des ténèbres. Enfin. 

L’idiome du désastre (REDON) 

L’araignée cristallise en Occident (pas en Orient) toute une série de fantasmes cruels à phobie cumulative: castration, vampirisme, cannibabis­me, et autres versions goulues d’une oralité polymorphe. Or cette boule de poils est forte­ment sexuée. Redon campe (incon)sciemment un être vulvaire dont le genre ne fait pas de doute. Mais la vulve a des dents. Le sexe est castrateur. Dans ce piège à phalbus culmine la terreur virile de la féminité. L’icône pubienne a aussi des pattes. Et quelles pattes! Des appen­dices aigus, puissamment érectiles, entre dard et grife. L’araignée se change en femme phal­lique. Femme fatale. Où l‘artiste en rajoute. Les aranéides ont huit pattes. Pas dix. Qui saturent l’espace de formes aiguës. Méfiez-vous : l’arai­gnée ne sourit pas. Elle grimace. Promesse de meurtre. Ou de chaos. Redon parle enfin son bangage le plus noir : un idiome du désastre. « Quel est donc cet autre à qui je suis plus attaché qu’à moi, puisque au sein le plus assen­ti de mon identité à moi-méme, c’est lui qui m’agite?». Kafka lecteur de Lacan. Au désir de l’Autre, Grégoire Samsa n’a cessé de se confor­mer. Bon fils, bon commerçant, bon garçon, bon tout. Le désastre advient quand il se sous­trait à la loi du Pére : il se change en vermine. Bruit de bottes. Redon becteur de Kafka : la métaphore ultime — désastre du sujet —, c’est la métamorphose. 

Outre-tombe (REDON) 

La face envahit tout. Un socle massif, aux arêtes vives, lui tient lieu de col. Cette géométrie sur­aiguë vaut métaphore de la guillotine, avec ses pans oblongs comme des lames de métal. Tête coupée? Téte suppliciée. Redon, qui n’a rien d’un libéral, honnit publiquement la peine de mort. Aussi be rebief antique est-il be gage expbi­cite de son désaveu. On y voit un combat de centaures au symbolisme obvie : bestiale est toute violence. Où prime la loi des armes. L’artiste figure un être patibulaire, qui n’est pas loin du monstre, avec ses os saillants et ses traits bruts : lèvre épaisse, nez camus, paupière lourde. Rien qu’un crâne. Avec... oedèmes. Un condamné à mort ne peut être qu’un homme du peuple : dans l’inconscient collectif de la société boungeoise, qui est, dit Foucault, une société disciplinaire, la plèbe et la pègre sont à peu près synonymes. Et les classes laborieuses sont tou­jours dangereuses. Mais la puissance de l‘ex­pression rédime ce mythe répressif. La mèche colle au front sous l’effet de la sueur. L’oeil gauche est un puits de ténèbres au sourcil plain­tif. Surtout l’homme fait la moue. Et ce rictus figé de Christ prolétaire est un réquisitoire contre les vivants : Vous êtes tous des assas­sins. Monde cruel, dont le globe est b’emblème. On prend en pleine gueule ce cri d’outre-tombe. Comme un coup de poing.

Da capo (FELLINI) 

La scène est une église, où prend place un orchestre. Dans l’attente du chef, les esprits s’ébattent, voire s’échauffent, sous l’oeil contris­té de bureaucrates débonnaires. Mauvaises farces et bréves querelles. Quand on perçoit un bruit sourd, que nul n’écoute : signe du dé­sastre. Il se pourrait bien que Prova d’orchestra (1979), produit par la RAI, fùt le dernier grand film de Fellini. C’est en tout cas, sauf erreur, son film le plus politique. Entre faux documentaire et vraie fiction, le cinéaste s’invente un genre autonome : l’essai libre à teneur subjective. Or l’ouvrage trouble parce qu’il troque l’anamnèse pour la parabole. Contre le chef, qui est alle­mand, vrai père sévère, l’orchestre finit par s’insurger. Scènes de révolte, façon mai 1968, où triomphe le chaos. Mais le grondement se fait tonnerre. Et le mur s’.. .éboule. Apparait une sphère, massive comme une énigme, dans l’abstraction glacée de sa forme parfaite: méta­phore obvie d’un monde inhumain qui ne connaît plus que la raison géométrique, c’est-à-dire totalitaire. Retour á b’ordre. La répétition reprend, parmi les ruines, sous les invectives du chef, qui retrouve sa langue maternelle pour exhaler sa volonté de puissanee. Il crie : Mit mehr Kraft! (Plus de force) il aboie : Da capo! (Encore !). Ces accents gutturaux miment d’au­tres harangues aux inflexions funestes. Le capo, c’est le chef. Le Führer. 

Folie douce (MAGRITTE) 

Une tête se brise en deux fragments. Et l’on per­çoít à l’inténieur du crâne une sénie de grebots sur fond d’étoffe (ou de rideau). Enfin l’on va savoir ce que l’autre a dans la tête. On verra dans le Double secret la métaphore exacte de cet art visuel qui est un art linguistique. Chez Redon, les grebots du fol ornaient la coiffe d’un personnage de Poe : héros maudit. Chez Magritte, qui n’ignore pas l‘iconographie, le gre­lot n’est pas moins dérisoire. Il fonctionne par antiphrase en suggérant l’inanité de sa propre symbolique : folie douce. Le modèle — une femme? — se réifie sous nos yeux dans l’étran­ge accessoire. Elle n’est plus que grelots. Femme machine : Lacan parlerait d’automate. L’inconscíent (le langage) est une mécanique. Inhumaine. Dans le craquement de la façade se révèle par effraction be clivage du moi qui régit ce théâtre crue (voir le rideau). Ce n’est pas le secret qui est double. C’est le sujet. Vingt ans aprés, dans la Mémoire, dont il ressasse les variantes comme une obsession, Magritte n’entre plus dans les têtes, fussent-elles cou­pées. Il se borne à marquer d’une tache de sang la place du grelot : coupure du sujet que barre la castration (Lacan toujours). La peinture, chez Magritte, est d’appétence... diaphane. Elle tend au mínimum du visibbe. C’est-á-dire au maxi­mum du signe. Et s’efface sous nos yeux.

Trope anthropophage ( REDON) 

Histoire ancienne: Salomé (la danseuse), le Baptiste (un martyr), et compagnie. Mais il n’y a pas de compagnie. Il n’y a d’ailleurs pas d’ac­tion non plus. Redon se débarrasse du superflu: Hérode, Hérodiade, les gardes, l’anecdote, et même la Bible. Il réduit le tout au minimum du visibbe, une boule, une tête, une figure. L’abstraction fait l’énigme. Le prophète martyr se change en ascète oriental : faciès émacié de Bouddha mébancobique, dont œil clos redouble à sa manière le thème castrateur de la tête cou­pée. Or la tête devient sphère, qui commence à cacher son nimbe sur un mode écliptique : grand retour du soleil noir. C’est le moment méme où la métonymie tend vers ¡a métaphore, laquelle fonctionne par substitution, puisqu’elle troque, dit Lacan, un mot(if) pour un autre. Ce que Redon figure est le mouvement du langage de l’image —, qui produit un monstre rhéto­rique, vrai transfuge, entre deux tropes. Il s’agit de montrer le travail de la condensation. Par où l’image fait trace. Et le sens fait strate. Cette éclipse est cannibabe. Car la sphère absorbe la face. Et la métaphore devient carnivore, sous l’œil interdit de la danseuse nue (ou presque), qui se fond dans le décor : elle devient pierre. Salomé se fait cariatide. Ainsi va le projet fou de Redon, artiste obsessionnel : mettre le monde en boule.

III  ACTIONS 

Il n’est pas sûr, écrit Adorno, que l‘art soit impossible après Auschwitz. Mais il est certain qu’il devient cynique: stade ultime de sa dégénérescence dans un monde aliéné par le fétichisme de la marchandise. Pas d’art plus cynique en un sens que l’actionnisme viennois (1965-1970), qui est le mouvement le plus radical de l’aprés-guerre, á force de violence symbolique et de pornographie réelle. Et ce maelström provocateur ruine les vieux postulats de l‘art d’Occident, fondés sur le primat du genre pictural. L’actionnisme a mauvaise pres­se. Il exhale encore un parfum de scandale. Mais on commence, même en Autriche, à redécouvrir son rôle maïeutique : forme ouverte de résistance à la dérive extrémiste d’une démocratie noire. On ne présente íci que les traces reliefs et ruines d’un anti-art, qui est au-delà de toutes limites, et dont la plupart des manifesta­tions publiques seraient aujourd’hui rédhibitoires dans le monde libéré - mais pas Iibertaire - qui est le nôtre. Oublions le soufre et le folklore. Des grands exemples de Pollock (le dripping) et de Klein (la performance), où sombre enfin le mythe du sujet maitre

-de l‘artiste démiurgequi parasite l‘art occidental, on ne connaît pas d’images qui tirent des conséquences plus subversives.

Et d’Auschwitz, aucune, sauf erreur, qui assume à ce point le désastre jusqu’au vertige. Cynique,oui. Comme Diogén.


Ça (POLLOCK) 

Pollock : «Quand je suis dans une peinture, je ne suis pas conscient de ce que je fais.» II dit pas conscient. Unconscious. Pollock encore : «Je laisse venir à travers moi». II dit : à travers. I let it come through. Il dit même : ça. It. Quoi? La peinture? Ou la pulsion? C’est exactement la même chose. Pollock invente la peinture pul­sionnelle, dans les années 1947-1948, sous le terme de dripping, ou coulure. La toile est sur le sol. Et l’artiste, usant d’accessoires insolites —boite trouée, pinceau dru —, prodigue son réseau polymorphe de flux pigmentaires. Voyez, gráce au film de Namuth, comme il s’in­vestit physiquement dans sa tâche. A mesure qu’il tourne autour de la toile, le pas se précipi­te, et le geste s’accélère. Pollock est en transe. Il vit le dripping comme un orgasme. Il dit même volontiers qu’il fait l’amour avec sa toile. Ce bal­let brosse tourne au rite sexuel : au coït... ona­niste. Qn on a perdu la mesure de ea nouveauté. La danse du dripping est une grande rupture dans un systéme pictural fondé sur la maîtrise du geste, où s’épanouit le mythe de l’artiste : sujet roi, vrai démiurge. Mais Pollock ne maîtri­se plus rien. Il ne peint pas. Il jette. C’est l’inconscient qui peint à sa place. La coulure vaut pulsion : le tableau devient trace. Et ce qui prime n’est plus la main. Mais le corps. Le dripping est une performance. Avec tableau pour aecessoire.

Sous bâche (KLEIN) 

Octobre 1960. Fontenay-aux-Roses, près Paris. Un homme dans le vide. En plein vol. Le saut prend la pose. Et le vide est matelassé. Peu importe. L’essentiel est ce qui reste: une image. Voire un mythe. Klein change le monde. On entendra : le monde de l‘art. Mais ce n’est déjà pas si mal. Et l’on peine encore à mesurer la profondeur de l’événement, c’est-à-dire son... insignifiance. Car sauter d’un mur, en banlieue parisienne, avec une bâche en dessous, n’est qu’une mauvaise farce. Mais faire de l’épisode un acte légendaire — un putsch esthétique — est un tour de fonce. Et l‘art, nous dit Klein, ne fut jamais autre chose. Sous le masque pharisien de ses idéaux vertueux, où se complaît le víeil Occident, l‘art devient ce qu’il est (ce qu’il n’a cessé d’étre) : un mélange de rhétorique et d’idéologie. Le reste est du vent : du vide. Où Klein saute. A pieds joints. Voyez la posture : érectile. Car enfin ce corps est bandé comme un are. Cette gymnastique aérienne est une gym­nastique pénienne. Klein fait le phallus dans un éther bourgeois. Il s’est d’ailleurs mis sur son trente-et-un c’est Icare en costume cravate. Car il saute en habits du dimanche. Comme on va à la messe. Et la bâche qui amortit sa chute est le saint suaire de l‘art moderne : pure parodie —vrai paradigme? — de l’œuvre d’art. On gage que l’artiste en eût bien ri. Sous cape. Qu sous bâche. 

Striction du phallus (MUHEL) 

Qui a peur d’Otto Muehl? L’Autriche l‘a mis en taule pendant huit ans (elle ne rêvait que de ça), au terme d’un procès en sorcellerie. Et le monde de l‘art l‘a toujours traité en vrai paria. Le mythe est sulfureux. Mai il n’est qu’un mythe. Car on ne connaît guère la production de l’actionniste. Et pour cause. Qn n’en a vu que de rares fragments. Il serait temps de juger sur pièces. En tirages modernes. II n’est pas d’autre moyen d’exhumer aujourd’hui les dizaines d’actions dites matérielles qui ont forgé, dans les années soixante, la légende (noire) de l’artiste maudit. Ce sont d’amples récits, qui excèdent parfois la centaine d’images, et dont l’économie narrative prime ici, faute de place, la luxuriance visuelle. Private joke ou vrai blasphème? Kreuzigung : Muehl met Nitsch en croix. Petit Golgotha entre amis. Mais ce qu’il crucifie, c’est la peinture, dont il enduit le corps du Christ imposteur, comme pour bien montner qu’un tableau n’est jamais qu’une icône. Bimmel et Bammel forment un couple modèle. Lui plutôt singe, elle plutôt vache. Mais ji n’y a entre eux que l’a fugace de la différance. Ou le petit a du désir. Ils jettent le masque : ce sont des hommes. Acéphales. Mais eunuques? Bodybuilding: odyssée cruelle du corps viril, où le muscle remplace le sexe, dans le fantasme puritain du vieil Occident. Menus exercices de striction du phallus. 

Noir sur noir (BRUS) 

L’homme est assis devant la toile. En majesté. Mais quelle toile? Un morceau de tissu cloué sur le mur. Du brut. Et du pauvre. Un bricolage vaguement prolétaire. Ou la toile enfin soustrai­te aux fastes sunannés de son histoire patricien­ne. Plus moyen d’être dévot. Ce n’est pas une relique. Mais un reliquat. Blanc sur blanc. L’homme fait corps ayee la toile. Mais pas pour longtemps. Voyez le trait qui la partage en deux. Violence du médium : césure du monde. Noir sur blanc. Cette coulée de matière est une cou­lée de ténèbres. Où le contraste extériorise le clivage du moi. La tête est déjà couverte de peinture. Brus rature le sujet. A grande traits s’esquisse une improbable auréole. Tête de martyre? La main gauche brandit ce qu’on croit être une scie. Le pinceau redouble son labeur chaotique. Et le cadrage se focalise sur le chef du modèle. Il ne reste plus que la tête. Noir sur noir La peinture est castration: la scie coupe; le pinceau masque. Mais tous deux poursuivent le même processus : effacer le sujet. En le mutil­ant. Car le pigment dérobe les traits. Il défigure au sens strict. Il absorbe le visage dans la glu qui l’entoure. L’occiput est comme ingéré dans la matiére picturale. Matiére cannibale. Et pour que nul n’en ignore, Brus met la main sur la tête, comme un membre coupé. Triomphe de la synecdoque. Mise en piéces du sujet. 

Morceau de viande (SCHWARZKOGLER) 

La sphère est contre la tête. Entre la chair et l’objet, quelque chose circule. Car la tête se couvre de gaze. L’homme est aveugle. Et la sphère humaine. Cette osmose est castratrice. Voire cannibale. Puis il paraît nu. Retour du refoulé : résurrection du corps. Mais il est de dos. Ce corps est anonyme, c’est-á-dire eunuque. Aussi l’artiste emploie-t-il un artefact parodique, où le phallus s’exhibe en se nian : le poisson. Dans cette logique freudienne de la surcompensation, l’excès ne fait qu’accuser le manque, dont la tragédie devient farce. Cet homme n’est pas une femme. Mai pas un homme non plus : vecteur bouffon d’un féti­chisme prothétique. Or quand il se retourne, le choc est rude. Il n’est plus debout. Mais couché. Son corps n’est plus intact. Mais biessé. Son sexe n’est plus nié. Mais mutilé. Le théâtre de la castration prend le tour clinique d’un acte médical, dont la panoplie de symboles est désormais régie par le fil du rasoir et le tran­chant de l’acier. Le résultat s’avère saisissant : cet être sans visage, sans forme, sans identité, n’a plus guère d’humain que la station debout. Le monstre de gaze ne vient au monde que pour y mourir. Il se tord sur un lit dans sa gangue de bandelettes. Et le morceau de vian­de finit à la morgue, dans son emballage de plastique, en pur produit de supermarché. Qui serait invendable. Faute d’étiquette.

 

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